Avant-propos par Oscarmore Ofori, guitariste, compositeur, producteur, interprète (1)
Il est difficile d’imaginer la musique du Ghana sans sa musique
highlife.
Elle est souvent décrite comme néo-folk ou un croisement entre musique folk et musique importée. C’est effectivement la conjugaison de tous ces éléments qu’est la musique ghanéenne; elle est en plus agrémentée et éclairée d’un riche apport provenant des domaines de la musique latino et américaine. Elle est cependant unique en son genre et elle incarne avec succès la personnalité ghanéenne.
Pourquoi le
highlife du Ghana est-il si unique et fascinant? C’est très simple : il s’apprécie facilement. Les locaux et les étrangers dodelinent de la tête et tapent du pied au rythme de la musique
highlife car il s’empare d’eux corps et âme, les captive et les fascine. Le rythme devient familier à l’étranger même s’il ne comprend pas les paroles.
L’atmosphère joyeuse créée par cette fusion d’instruments est assez universelle. Le rythme est endémique car il puise ses racines profondément dans la culture musicale du Ghana et ses ressemblances se perçoivent dans la plupart des paroles de la musique culturelle du Ghana. La musique
highlife ghanéenne qui se fonde sur des formes musicales traditionnelles exprime nos sentiments traditionnels et notre personnalité ghanéenne.
On pourrait se demander pourquoi l’appeler
highlife si elle est endémique? Aux yeux du monde, la musique est connue sous le nom de
highlife. Le moindre changement signifierait autre chose pour les Ghanéens et, très certainement, rien aux yeux du monde extérieur. Ainsi, le nom
highlife restera éternellement, car il n’affecte en rien le rythme enchanteur et fascinant de la musique.
Oscarmore T.A. Ofori, 1971.
1. Introduction générale par Carmelle Bégin, ethnomusicologue
La musique
highlife s’est imposée au cours du vingtième siècle comme l’une des plus importantes musiques du monde. Née en Afrique de l’Ouest, cette musique de danse se développe à l’époque coloniale à partir de ses racines africaines
(2) et s’approprie d’autres éléments au contact des musiques occidentales. La musique
highlife évolue principalement en milieu urbain là où les boîtes de nuit, les bars, les salles de bal, attirent la clientèle d’une classe sociale bien nantie.
Encouragés et alimentés par les Senghor, Césaire, Touré et Nkrumah qui revendiquent leur africanité, la musique
highlife et le
concert party, théâtre de vaudeville avec lequel elle fusionne, adoptent les langues vernaculaires pour s’exprimer. Lors de sa lutte pour l’indépendance du Ghana, le leader politique Kwame Nkrumah proclame la musique
highlife la musique nationale du Ghana. Les
highlife bands l’accompagnent dans ses tournées des pays africains pour promouvoir sa politique d’africanisation : « Africa is for Africans » répète-t-il lors de son célèbre discours aux
freedom fighters.
C’est sous le règne de Kwame Nkrumah qu’est créée la
Arts Council of Ghana Law dont la mission est de protéger, stimuler et améliorer les expressions culturelles de la nation et limiter l’influence étrangère sur la musique
(3). Ainsi, de nouvelles formes de musique
highlife traditionnelle naissent et, paradoxalement, s’accentue l’influence de la musique afro-américaine sur la musique de l’Afrique de l’Ouest avec le retour au pays de plusieurs musiciens expatriés et les tournées internationales des stars africaines-américaines tels Louis Armstrong et James Brown.
Dans les années 1950, Ambassador Manufacturing Company (Ghana) Limited de Kumasi, viendra offrir une alternative locale à un marché du disque dominé par les compagnies étrangères. Entre 1970 et 1990, l’instabilité politique, l’exode des musiciens vers l’Europe et l’Amérique, la désertion des salles de danse, l’arrivée de la nouvelle technologie numérique qui entraîne la chute du disque vinyle, ne sont que quelques facteurs qui contribueront à changer la scène culturelle du Ghana.
2. Des lieux et des artistes
Suite à la guerre de 1896 qui assujettit le Ghana à l’Empire britannique, les régiments stationnent leurs troupes dans les villes portuaires. S’y croisent des militaires de provenance africaine, caribéenne et britannique qui transportent avec eux leur répertoire musical qu’adopteront les musiciens locaux. Vers 1930, les orchestres d’inspiration militaire se multiplient dans les grands centres
(4). Leur répertoire se compose de valses, de foxtrots et des mélodies locales adaptées au goût du jour. Ces orchestres se produisent dans les salles de bal, les théâtres et les cabarets où les membres de clubs sociaux règlent la bonne tenue de ces établissements.
Certains de ces hauts-lieux de musique et de danse
highlife, connus entre les années 1920 et 1980, sont demeurés dans la mémoire collective. À Accra, on accourait au Metropole Hotel, au Kit Kat, au Tip Toe Gardens, au Kalamazoo et au Lido Night Club où se produisait entre autres
E.T. Mensah. À Takoradi, le Zenith Hotel était l’hôte du
Broadway Band et le Princess Night Club invitait
C.K. Mann à diriger son Carousel Seven. À Kumasi, l’Ambassador Garden Hotel commanditait les
African Brothers, à Tema, le Talk of the Town accueillait les
Sweet Talks, sans oublier le Napoleon Night Club, devenu le centre de la vie musicale à Accra à partir de 1974
(5).
3. La musique highlife et le théâtre de vaudeville
Après la Deuxième Guerre mondiale et avec la montée du nationalisme africain, on abandonne les grands orchestres jugés trop
coloniaux pour les
guitar bands et leur musique
highlife. En plus d’attirer le public amateur de danse, la grande popularité de la musique
highlife s’explique en partie par le contenu des chansons qui vantent les mérites des leaders politiques, dénoncent les injustices, s’inspirent de proverbes ou de la moralité religieuse et ridiculisent certains aspects de la société. Le théâtre vaudeville appelé
concert party, devenu très populaire durant l’entre-deux-guerres, est aussi un vecteur de la critique sociale. Cet opéra comique met en scène un
gentleman, un personnage comique appelé le
jocker et un comédien travesti interprétant un personnage féminin. Ils sont généralement accompagnés d’un harmonium et d’un percussionniste.
Ces instruments sont mis à l’écart lorsqu’en 1952,
E.K. Nyame joint son théâtre de vaudeville à son
guitar band pour former le Akan Trio. Ce genre sera imité par un grand nombre d’artistes, comédiens et musiciens, qui exerceront leur art au-delà des années 1980. Influencé par le mouvement d’africanisation qui accompagne l’indépendance, le
concert party délaissera l’anglais au profit des langues locales et fera la promotion du nationalisme ghanéen
(6). Des artistes prêteront leur talent pour illustrer de façon dramatique et caricaturale le sujet des comédies sur des panneaux publicitaires ou des pochettes de disques.
4. L’indépendance du Ghana et les grandes années de la musique highlife
E.T. Mensah, le « King of Highlife » et ses Tempos sont les grandes vedettes de l’après-guerre. En 1957, la musique
highlife, proclamée musique nationale du Ghana par Kwame Nkrumah, devient un symbole culturel et un outil de propagande politique.
E.K. Nyame, un des interprètes préférés de Nkrumah,
E.T. Mensah and his Tempos,
Kwaa Mensah, le
Broadway Band, ne sont que quelques uns des artistes qui créeront des chansons faisant l’éloge du pays et de son leader
(7).
L’essor économique qui succède à l’indépendance stimule la vie sociale et culturelle et une multitude de groupes connaissent le succès. Les
Black Beats, les
Red Spots, Joe Kelly’s band, les
Ramblers, les
Stargazers, les
Rhythm Aces, et
Kwabena Onyina, interprètent et mélangent une variété de styles musicaux,
highlife, calypso, jazz,
ballroom music et s’affirment sur la scène publique à travers les tournées, la radio et les disques 33 rpm.
C.K. Mann marquera la décennie de 1970 en incorporant à la musique
highlife des éléments de musique
Osode de la région côtière de Cape Coast. Dans la région de la capitale Accra, le groupe
Wulomei crée un genre nouveau en incorporant, pour la première fois, la musique de tradition
Ga à la musique
highlife.
Dans les années 1980, la musique disco, devenue très populaire, concurence les orchestres des boîtes de nuit, et l’arrivée des disc-jockeys et de leurs discothèques mobiles leur donne un coup fatal. La fulgurante popularité d’autres genres musicaux comme le
gospel highlife et le
hiplife, une fusion de la musique
highlife et du
hip hop, transforme la scène culturelle de la fin du siècle. Aujourd’hui, on fait revivre les
highlife bands lors de festivals organisés dans les grands centres et on peut encore entendre la musique
highlife dans de rares hôtels les week-ends ou lors d’événements spéciaux.
5. L’industrie ghanéenne du disque
Au début du 20ième siècle, les studios Pathé en France et Zonophone en Angleterre, enregistrent des artistes ouest-africains et distribuent les disques dans plusieurs pays d’Afrique. En 1928 à Londres, Zonophone enregistre Kwame Asare (dit
Jacob Sam) et sa chanson « Yaa Amponsah » est le modèle sur lequel se crée une grande tradition de chansons
highlife (8). Durant les années qui suivent, les compagnies étrangères de production de disques telles Pathé-Marconi, EMI, Gallo-Africa et bien d’autres, établissent leur quartier général dans les villes d’Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Sud
(9).
On attendra jusqu’à la fin des années 1950 pour que se constitue la première compagnie ghanéenne de production de disques, Ambassador Records Manufacturing Company (Ghana) Limited. Cette compagnie et quelques autres produiront des disques 78rpm, des disques vinyle 45 et 33rpm. Le design des pochettes de disques sera l’occasion pour des artistes graphiques, des illustrateurs et des photographes ghanéens de se faire connaître. Vers les années 1980, la production de cassettes audio et la technologie numérique annonceront le déclin de l’industrie du disque vinyle.
Carmelle Bégin
(10)
Sources citées
Cole, Catherine M. 2001. Ghana’s Concert Party Theatre. Bloomington: Indiana University Press.
Collins, John. 1992. West African Pop Roots. Philadelphia: Temple University Press.
Collins, John. 1994. Highlife Time. Accra: Anamsesem Publications Limited.
Collins, John. 1996. E.T. Mensah: King of Highlife. Accra: Anansesem Publications Limited.
Plageman, Nathan A. 2012. Highlife Saturday Night: Popular Music and Social Change in Urban Ghana. Bloomington: Indiana University Press.
Veal, Michael E. 2000. Fela, The Life and Time of an African Musical Icon. Philadelphia: Temple University Press.