Dès ses explorations filmiques au début des années 1970, Woody cherche à faire évoluer les fonctions de traitement d’images par composants technologiques vers la programmation. Il établit un parallèle entre l’utilisation du signal électronique comme « matériau brut » d’où une forme de langage électronique peut dériver, et l’examen des procédés de génération et de traitement de l’image numérique, à partir duquel la quête de la plus petite unité programmable est considérée comme le « degré zéro » pour constituer une « syntaxe des images binaires ». Cette approche intermédiaire à l’égard de la vidéo et de l’ordinateur s’élaborait notamment à un moment ou chacun des médias (l’un analogique, l’autre numérique) émergeaient d’un cadre technologique pour former des expressions culturelles sémiotiques qui définissaient également les critères de spécificité médiatiques. Dans cette optique, j’estime que les Vasulka étaient conscients du niveau de l’avancement médiatique à leur époque. Plus précisément, ils comprenaient alors qu’un média cherchait une forme d’articulation et de reconnaissance. Cette prise de conscience informait la façon dont ils employaient les processeurs, les mixeurs et les ordinateurs pour manipuler, incruster ou commuter (switching) le signal. Le concept de génération et d’organisation de signaux électroniques par commandes numériques est basée sur le concept de programmabilité comme moyen d’intervention et de transformation radicale du statut d’une « image ». En ce sens, lorsque les images électroniques se développent par couches superposées et produisent une séquence spatiale grâce à une hiérarchisation des plans d’incrustation, elles annoncent la matrice de l’espace numérique.
Lorsqu’il envisage de dialoguer avec des médias hybrides et la machine de simulation numérique, Woody insiste sur l’importance d’une plus grande élaboration conceptuelle de « l’espace numérique ». Faisant fi des principes d’organisation de moyens d’expression artistiques, cet espace ne suggère pas l’utilisation d’un ordinateur pour émuler des formes traditionnelles, mais encourage plutôt la création d’environnements. Dans une proposition de recherche dont ils sont tous deux les auteurs, David Dunn et Woody Vasulka mettent à l’essai une structure dialogique déployée au sein de paramètres qui varient de façon indéfinie et continuelle. Rédigée dans le cadre de la présentation de l’installation médiatique
The Theater of Hybrid Automata (Ars Electronica, en collaboration avec David Dunn, 1990), cette proposition invite à reconsidérer la notion d’auteur (car la créativité est ici partagée avec l’ordinateur) et à baliser les modes opératoires de l’interactivité. Par conséquent, Dunn et Vasulka y décrivent l’élaboration de « l’espace numérique » : « Notre intérêt pour ce nouvel environnement et notre point de vue découle de nombreuses années d’utilisation créative de la technologie numérique comme un outil esthétique qui a souvent, pour nous, remis en question les modes traditionnels de composition d’images et de sons. Ce questionnement ne découle pas seulement de notre intérêt pour les nouvelles formes en général, mais d’implications profondes issues de l’organisation de nos matériaux grâce au code informatique. Les déterminants structuraux de cette technologie sont d’une telle importance, qu’un genre précis est plus propice à se déployer dans le code binaire au sein des modes qui transcendent les relations de cause à effet linéaires, révélant de nouveaux concepts de composition de l’espace, de la perspective et de la morphologie. »
(1) De plus, selon la prémisse que l’interactivité et la virtualité sont des conditions technologiques propres aux machines hybrides dans le numérique, ce type de créativité bonifie fortement le mode opératoire de la machine. Comme cette proposition le met de l’avant, l’entreprise de partage de la créativité se situe dans l’espace numérique, car cet espace déploie un autre environnement, propice à une rencontre générique entre les humains et des machines toujours plus complexes. « Ce qui devient évident, c’est qu’une sorte de synesthésie numérique pourrait émerger de cet environnement perceptuel, qui procurerait une expérience du concept de complexité non linéaire, devenu incontournable dans les sciences en général ».
(2)
L’un des objectifs de ce projet est de comparer les contraintes imposées par le cadre télévisuel et le mode d’affichage des pixels selon leur flexibilité dans le temps et l’espace, particulièrement lorsque les ramifications spatiales et temporelles de « l’objet image » sont compressées et décompressées. L’autre visée consiste à se positionner dans un environnement numérique pour explorer la façon dont le temps et l’espace peuvent envelopper la perception. Ces données spatiales et temporelles sont également utilisées pour développer des composants technologiques qui anticipent des environnements médiatiques virtuels immersifs. Dans deux expériences de représentation de l’activité artistique, Woody utilise le motif de sa propre main à titre de métaphore (présentée ici à la fois subjectivement et objectivement) d’un outil primaire permettant d’exposer visuellement un procédé de transformation : dans un premier temps, analogique (
Vocabulary, 1973), et dans un deuxième temps, numérique (
Artifacts, 1980). Dans ces expériences de superposition de couches d’images, il s’agit de faire dévier graduellement la gestalt de la main, pour que l’objet visuel passe d’un élément reconnaissable à un motif abstrait par le truchement d’outils de rétroaction (feedback). Vus de façon conjuguée, ces deux énoncés visuels sur la notion de « créativité » mettent de l’avant le passage de l’analogique au numérique dans le travail des Vasulka.
(a) (b)
Woody procède à une analyse de phénomènes d’images organisées numériquement en quête d’un lien entre des opérations logiques (algorithmes) et une prise en compte systématique du visuel. Par contraste avec les procédés analogiques, lorsque des données de l’image analogique sont traduites en code binaire grâce au convertisseur analogique numérique, il est possible de contrôler individuellement chaque élément, chaque pixel. La dimension du pixel qui définit la résolution de l’image dépend de la capacité de mémorisation. Et pour atteindre une haute résolution de l’image, il faut une densité élevée de codes binaires, soit un nombre élevé de bits (l’unité d’information la plus petite du code binaire). Il faut conjuguer toutes ces données pour présenter des valeurs suffisantes à l’affichage d’une image numérique. Au début de ces expériences, Woody greffe un outil informatique de base au
Digital Image Articulator, le Arithmetic Logic Unit (ALU), qui peut produire des images vidéo en temps réel. Lorsqu’il conçoit cet outil Woody découvre qu’en opérant les fonctions booléennes, l’ALU traite généralement des données numériques à l’arrivée. Et lorsque ces fonctions sont appliquées à une image encodée (c.-à-d. une image analogique déjà convertie en code numérique) les fonctions logiques sont également en fonction, car la notion d’unité référentielle n’est pas une caractéristique distinctive de l’image numérique. Néanmoins, Woody constatait alors l’existence d’un certain indice de pertinence lié à une hiérarchie qu’il décrit comme « une relation perceptuelle ».
À la découverte que les étapes logiques s’inscrivaient dans une syntaxe inhérente à l’image numérique (bien que basée sur une échelle de fonctions logiques), a succédé l’examen d’une syntaxe qui exprimerait des caractéristiques propres au code : « Nous nous étonnions de découvrir qu’il était possible d’interpréter l’échelle de fonctions logiques comme une échelle syntaxique — des relations syntaxiques entre deux images — des relations visuelles ou spatiales qui, habituellement, ne sont pas envisagées selon leur parenté avec des fonctions logiques abstraites. Dans la mesure où les fonctions logiques figurent sous la rubrique de l’abstraction, elles peuvent s’appliquer à n’importe quoi. En somme, cela signifie qu’elles deviennent un langage unifié qui échappe à tout champ disciplinaire. Elles sont pluridisciplinaires. » (W.V.) Cette caractéristique s’applique également à des procédés audio ou oraux. Toutefois, ainsi que Woody le souligne, il ne s’intéresse pas nécessairement aux processus de génération d’image à proprement parler « mais à l’image dans le numérique, tel que son traitement nécessite un laps de temps plus long ainsi qu’une accélération de la vitesse du système d’opération. C’est pourquoi (ce système) me fascinait. » (W.V.)