Orbital Obsessions superpose et modifie les différentes sources d’images transitant par des dispositifs de modulation, d’incrustation et de séquençage qui enregistrent et diffusent les effets au moment où ils sont générés. À la faveur de la position différente des deux caméras, l’espace de l’atelier exposé en double et faisant voir Steina maniant les caméras semble segmenté, multiplié et se déplacer simultanément sur différents axes. Cette complexité spatiale résulte, par exemple, de l’image sur moniteur d’une caméra pointée elle-même vers un moniteur, captée par une seconde caméra dont l’objectif exécute un zoom avant / zoom arrière. L’image de la caméra en circuit fermé s’affiche au sein d’une structure de rétroaction (feedback) où la distorsion est issue de la multiplication presque infinie d’une même image. La rétroaction se manifeste également sur le plan sonore, construisant les interactions entre les composants techniques de façon réflexive par la succession des réactions. Bien que cette multiplication d’images au sein d’images évoque la construction de la
mise en abîme observée dans la peinture et le film, le médium électronique présente autrement la distorsion spatiale. Dans
Orbital Obsessions, cet effet de distorsion survient lorsqu’un commutateur (switcher) fait converger les pistes vidéo associées aux mouvements divergents d’une caméra rotative horizontale et d’une autre caméra verticale, confirmant ainsi que le signal électronique se meut dans les deux directions.
Un autre cadre d’installation présente l’image issue d’une caméra en rotation sur une table tournante, incrustée du point de vue d’une seconde caméra stationnaire dirigée vers la première caméra. Dans l’imagerie générée par la modulation de fréquence et les procédés d’incrustation, l’affichage de pistes vidéo sur un même plan peut varier en vitesse ainsi que passer du positif au négatif. Utilisant le
Video Sequencer (George Brown, 1972), Steina module le voltage de deux ou plusieurs sources d’images qui diffusent des vues différentes et elle fait s’accélérer ou se décélérer leur mouvement d’alternance. L’allée et venue des sources produit un battement d’images (flicker effects) perceptible, car le
Video Sequencer permet des changements de piste très rapides au point où ce va-et-vient (à l’œuvre lors de la synchronisation verticale du signal) devient pratiquement « invisible ». Cette opération transgresse de nouveau la notion d’une image isolée et « cohérente ». Face à face, les deux caméras s’ajoutent à la distorsion visuelle et désorientent notre perception spatiale, surtout au moment où Steina entre dans ce cadre d’imagerie complexe et qu’une caméra tourne à 360 degrés du plancher au plafond.
Cette incohérence atteint son apogée lorsque Steina, en alternant les sources d’images du positif vers le négatif dans le même segment, opère le
Multikeyer qui fait s’incruster et s’additionner verticalement des couches d’images en temps réel. La dernière séquence dérive également du procédé de superposition comme technique d’addition : l’image de Steina s’y multiplie dans des occurrences légèrement différentes les unes des autres. L’incrustation très rapide (zero-interval keying) produit cette impression d’images rémanentes. L’outil employé pour générer ces effets, le
Multikeyer, permet de manipuler et juxtaposer jusqu’à vingt sources vidéo au sein d’un même plan comme si elles disposaient de « réelles » relations forme/ fond. Fait intéressant, ce procédé de réassignation du lieu d’inscription d’une découpe d’image en temps réel découle d’un composant numérique. Comme n’importe quel outil de programmation, ce composant fonctionne grâce à une horloge interne et exécute des opérations de programmation et de stockage de base. Bien qu’au début des années 1970, presque tous les appareils aient été analogiques, le Multikeyer, avec ses puces de circuits intégrés, disposait d’une mémoire qui le rangeait dans la famille des appareils numériques. « Le
Multikeyer de George Brown
constitue un exemple d’incrusteur vidéo analogique réglé numériquement. Il se compose d’un séquenceur numérique programmable branché à une console de traitement analogique. La structure comprend également un encodeur numérique de séquence d’incrustation (key priority encoder) conjugué à de nombreux instruments analogiques (incrusteurs, tables de mixage) (...) L’incrusteur et l’unité de mixage mettent en séquence et trient les six sources pour produire plusieurs plans d’images qui sont ensuite acheminés vers une seule piste de sortie. (...) Cet incrusteur polyvalent est construit pour les Vasulka au début des années 1970 (...) Une interface d’ordinateur s’y ajoute en 1977, qui permet de stocker, d’afficher et de contrôler les séquences de programmation. »
(1) La vidéo analogique profitait alors de cette « particularité de l’incrusteur » qui permettait de superposer hiérarchiquement plusieurs pistes à l’arrivée, produisant un résultat cohérent à la sortie. C’est le composant d’encodage conjugué à l’incrusteur qui détermine l’affichage séquentiel des « plans d’images », selon leur luminosité : « L’empilement et la mise en séquence de pistes rendent possible un processus de superposition d’images difficile à exécuter avec des unités de mixage vidéo courantes sans faire usage de boucles multi-générationnelles. »
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