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Woody Vasulka

Artifacts, 1980

Woody Vasulka, Artifacts, 1980 (version intégrale) (video)
Woody Vasulka, Artifacts, 1980 (version intégrale) (video)
Dans Artifacts, Woody expérimente avec la construction et la déconstruction de l’imagerie visuelle numérique. De plus, il s’intéresse ici aux possibilités de manipulation du vocabulaire électronique à l'aide d’algorithmes. Le vidéogramme visualise ces procédés de restructuration de l’analogique dans la sphère des images numériques. La composition des lignes de la trame et la structure des pixels sont mises de l’avant comme les effets visuels du « balayage » numérique (qui devient ici un procédé d’échantillonnage, n.d.t), où la modulation des signaux sur une grille x/y provoquent l’expansion horizontale et verticale, tandis que la décélération et l’accélération graduelle de données issues de l’image produisent des effets de morphage. En construisant de l’imagerie visuelle numérique, notamment en dépouillant le vocabulaire électronique de ses fondements « matériels » dans les algorithmes, Artifacts constitue principalement un jeu d’échange entre le traitement analogique et numérique des images. Il s’agit également d’un dialogue avec la machine, car Woody utilise de nouveau sa propre main comme outil premier de créativité. Or, par contraste avec Vocabulary, la visée de ce vidéogramme est de présenter les processus de transformation du signal analogique en code numérique « couche par couche » et « nombre par nombre ».

Dans Artifacts, Woody met à l’essai les composants du Digital Image Articulator, (b) outil complexe qu’il construit à l’époque, car les ordinateurs disponibles sur le marché dans les années 1970 ne sont pas conçus pour le traitement d’images en temps réel. Dans le manuel d’utilisation non publié du Digital Image Articulator (ca. 1979) (c), Woody Vasulka, Jeffrey Schier et Tom Moxon décrivent en détail son mode de fonctionnement. En principe, le Digital Image Articulator traite des images encodées. Une fois complétée l’étape de conversion de l’image analogique vers le numérique, huit unités tampons échantillonnent et emmagasinent le contenu traduit en code selon la valeur de luminance de chaque portion d’image; en d’autres mots, une valeur numérique est assignée à chaque valeur de luminance. La portée des nombres pouvant être attribués aux unités de valeur dans l’échelle de zones sombres et claires déterminera la quantité de changements d’intensité, affichés ensuite sur une grille de 128 x 128 pixels. Les unités tampons, conçues pour saisir les cadres d’images, emmagasinent un cadre ou une séquence de cadres. Le microprocesseur est branché à deux des quatre bus qui alimentent les unités tampons. « Le réglage des deux bus permet de lire et d’écrire (des données de programmation) dans différentes régions des deux unités tampons. Cette fonction donne la possibilité de procéder à plusieurs modifications de l’image telles que le renversement, la compression, l’expansion, le retrait des bords et la découpe. » (1)

Bien que toutes les unités de mémoire tampon soient branchées aux quatre bus, qui transmettent des signaux de réglage, des données d’adressage et d’autres données, un séquenceur et un logiciel de 256 mots emmagasinent des commandes et les acheminent au microprocesseur. La région d’adressage (grille x/y de génération d’adresse) génère le signal de synchronisation qui permettra d’échantillonner ou d’inscrire de l’information vidéo pour les unités tampons. La modulation des signaux sur la grille x/y permet de manœuvrer les unités tampons responsables du balayage (échantillonnage) et, ainsi, de créer des effets dérivés de cette opération, alors que la modulation de la déviation du signal crée la compression et l’expansion. Cette modulation rend possible le réglage de la hauteur et de largeur des formes d’images. Elle favorise également le repositionnement des axes horizontaux et verticaux. Comme l’indique le manuel du Digital Image Articulator : « Au chapitre des effets graphiques produits par le balayage (échantillonnage) de la trame, il existe deux écoles de pensée lorsqu’il s’agit de traiter de formation d’image. Selon la première que privilégie le traitement, les signaux sont émis en temps réel et peuvent être différés, modifiés ou commutés (switched) à condition de respecter les restrictions imposées par ce temps réel. L’autre approche exploite les possibilités des unités tampons et le stockage des données, où l’information est saisie et emmagasinée sous forme de séquences de cadres d’images (de photographies) fixes et rejouée ou recalculée sous forme d’agglomérats en mémoire. » (2)

L’interface du micro-ordinateur conjugue un microprocesseur LSI-11 au processeur vidéo et autorise sa requête d’utilisation d’une des unités tampons. Lorsque des résultats sont tirés d’une requête de séquence auprès de cette unité, il est ensuite possible d’y inscrire ou d’y lire un bloc de données. Le LSI-11 est également responsable du réglage de l’ordre des registres qui déclenchent les unités tampons de façon séquentielle.

En considérant le niveau d’avancement du traitement de l’image numérique au moment de la création d’Artifact, la réactivation, par Woody, du motif pictural de la main (signifiant ici la tradition du savoir-faire artisanal) semble ironique. En guise de commentaire des méthodes de production d’artistes qui désirent contrôler leur propre image, Artifacts met en œuvre un processus de transformation (retirant et à l’inverse, additionnant des couches de données) qui atteint une forme de pixellisation presque sans structure lors du traitement numérique du motif de la main. Évidemment, les méthodes de production dans la culture électronique nécessitent que l’artiste reconnaisse qu’il partage l’étape de production avec la machine. Comme Woody l’explique dans le commentaire d’accompagnement d’Artifacts : « Par l’emploi du terme « Artifacts », j’indique qu’il est nécessaire de partager le procédé de création avec la machine. Le nombre d’éléments dont elle est responsable dans ce vidéogramme est trop grand. Ces images vous viennent comme elles me sont venues : dans un esprit d’exploration. »

Subséquemment, dans le commentaire en voix hors-champ, Woody demande au spectateur de visionner le vidéogramme sur un mode interactif en stoppant et en allumant le magnétoscope de façon intermittente, pour qu’ainsi il puisse expérimenter des effets d’intervalles. Cette proposition ne signifie pas que Woody partage l’expérience numérique du temps réel avec le spectateur, mais souligne plutôt la différence technique entre les outils utilisés lors de la création de l’imagerie vidéo et l’environnement médiatique où nous l’appréhendons. Remarquons qu’une autre couche de critique médiatique se déploie lorsque Woody invite le spectateur à produire des intervalles en utilisant le mécanisme de contrôle d’un magnétoscope, car l’intervalle appartient au langage filmique, où il agit à la fois comme césure et lien entre des photogrammes. Sans équivoque, les directives de Woody ne font pas le pont entre les outils de génération d’images vidéo et leur pendant numérique, mais constituent une autre formulation de la spécificité médiatique - d’importance sur le plan technologique. Woody, en particulier avec Artifacts, décrit la condition déterminante pour penser un autre niveau d’analyse du vocabulaire de l’image électronique. Mené par Woody avec l’incorporation du Digital Image Articulator, l’examen de la visualité fait avancer d’un cran le « vocabulaire électronique » vers la « syntaxe des images binaires ». Tel qu’il a été exposé ci-haut, avec la numérisation, l’intérêt manifesté pour le vocabulaire audiovisuel (en particulier dans cette première phase) met toutefois l'accent sur l'image, car, comme l’explique Woody dans ses notes pour Binary Images, c’est ici que réside le plus grand défi.

Yvonne Spielmann © 2004 FDL

(1) Vasulka, Woody, Schier, Jeffrey, Moxon, Tom, The articulator manual, c. 1979, manuel d’utilisation non publié.

(2) Ibid.