Anthony McCall : film installations. — Sous la direction de Helen Legg. — Coventry : Mead Gallery, 2004. — 64 p. — Comprend une bibliographie. — ISBN 0902683667.
Catalogue publié à l'occasion de l'exposition
Anthony McCall : film installations, Mead Gallery, University of Warwick, Coventry, Angleterre, Royaume-Uni, 21 avril-19 mai 2004. — Commissaire : Helen Legg.
La recension porte sur le catalogue accompagnant l'exposition éponyme tenue du 21 avril au 19 mai 2004 à la Mead Gallery du Warwick Arts Centre à l'université de Warwick, Coventry, Angleterre. Le catalogue comprend, outre l'introduction de Helen Legg, deux essais, « Film Beyond Its Limit » de George Baker et « The Continuous Present » de Lisa Le Feuvre, ainsi que deux textes d'Anthony McCall, «
Line Describing a Cone and Related Films » et « New Film Installations ». On y trouve également une biographie de l'artiste et une bibliographie sélective.
Baker débute son essai avec une anecdote historique : invité en 1924 à créer un ballet,
Relâche, Picabia construit une scénographie composée de 370 projecteurs curieusement placés derrière plutôt que devant ou au-dessus de la scène. Ce renversement des conventions théâtrales a pour effet d'absorber les spectateurs éblouis dans l'espace scénique, de les incorporer dans l'action. De même, souligne l'auteur, avec
Line Describing a Cone (1973), McCall renverse les conventions cinématiques puisque les spectateurs font face au projecteur. L'installation filmique commence avec un point de lumière perçant l'espace. Pendant les trente prochaines minutes, le point se transformera lentement en une forme conique vide, mais dessinée par la lumière. En dirigeant l'attention sur le projecteur lui-même et sur la condition essentielle du cinéma – la projection de lumière – McCall opère un renversement critique qui empêche toute forme de maîtrise du spectacle cinématique ou d'illusion.
Sauf l'illusion qui persiste à nous faire voir comme un mouvement continu ce qui est réellement une animation composée d'images fixes. Le rejet des conventions narratives associés au cinéma traditionnel n'évacue pas non plus toute forme de narration. Le titre de l'œuvre, rappelle Baker, dit bien « ligne
décrivant un cône ». Et si narration il y a, elle émanera des « acteurs » qui participent à la construction du film en déambulant dans l'espace. La distance critique initiale imposée par le dispositif se transforme en champ d'absorption, les participants peuvent marcher dans le cône, ils sont incorporés dans le film. Le paradoxe s'accentue si l'on considère que le médium (projecteur-lumière) crée une dimension spatiale réelle et non représentée : le film devient sculpture. McCall a d'ailleurs qualifié ces installations des années 1973-1975, de
solid light films (films de lumière solide).
Baker poursuit en rappelant les enjeux liés à différentes pratiques artistiques dans la foulée du minimalisme, évoquant l'« objet spécifique » de Donald Judd et le travail de Dan Flavin, un important prédécesseur dans l'utilisation de la lumière comme médium. Parmi les termes majeurs utilisés à l'époque pour cristalliser certaines préoccupations, Baker retient celui de « continuité » en ce qu'il reconduit l'approche phénoménologique introduite par les minimalistes, en insistant sur le processus (
process art) et sur l'interdépendance relationnelle des œuvres avec l'espace et le public. L'œuvre d'art post-minimaliste n'est plus isolée dans une temporalité a-historique, elle s'inscrit dans la
durée, elle se déroule dans le temps et dans le monde. Baker donne ici en exemple les stratégies radicales de Eva Hesse, Richard Serra, Bruce Nauman et Dan Graham et souligne l'importance des travaux de Rosalind Krauss et de son texte au titre emblématique « Sculpture in the Expanded Field ».
Ces considérations s'appliquent bien sûr aux films de McCall et l'auteur évoque les œuvres qui ont préparé le terrain pour les
solid films : Slit Scan, Miniature in Black and White, Water Table et
Landscape for White Squares (1972).
Baker perçoit les
solid films comme des « sculptures filmiques », renversant le terme « film sculptural » utilisé à l'époque par le critique Benjamin Buchloh dans un essai sur les films de Richard Serra,
Hand Catching Lead et
Hands Scraping. À l'inverse de Buchloh concluant qu'il ne s'agit ni de film ni de sculpture, Baker préfère employer une formule empruntée à Deleuze : film ET sculpture, pour souligner la co-articulation radicale - plutôt qu'une dialectique - à l'œuvre dans les projets de McCall.
À partir de ces observations, Baker procède à une analyse fouillée des trois autres
solid films, Partial Cone, Conical Solid et
Cone of Variable Volume (1974). Tout en s'employant à montrer la transformation, ou l'oscillation, entre le « temps cinématique » et l'« espace sculptural », il décortique les propriétés de chaque film et repère des affinités avec des œuvres comme les cubes modulaires de Sol Lewitt et les
Rotoreliefs de Marcel Duchamp.
La même logique est à l'œuvre, poursuit Baker, dans les « longs » films de McCall tel que
Long Film for Four Projectors (1974), un événement d'une durée de six heures. Tout comme dans
Four Projected Movements (1975), McCall déploie de nouvelles stratégies d'incorporation du spectateur en utilisant plus qu'auparavant l'espace architectural. L'auteur remarque que cette prise en compte modifie considérablement l'ambiance des installations qui, d'éthérée, devient plus « disciplinaire ». Et puisqu'il s'agit des derniers
solid light films pour une période de vingt-cinq ans, Baker spécule sur les raisons qui ont incité McCall à abandonner le projet après seulement deux courtes années en examinant les dilemmes socio-politiques auxquels se trouvaient confrontées les stratégies avant-gardistes de l'époque.
Il termine son essai en commentant le dernier « long » film de McCall,
Long Film for Ambient Light (1975), projet encore plus radical que les précédents puisque film et projecteur disparaissent. À haute teneur conceptuelle, l'installation consiste en un diagramme temporel affiché au mur, un texte de deux pages intitulé « Notes on Duration », et un espace architectural dont les fenêtres sont couvertes de papier blanc diffusant la lumière du jour et agissant comme écran le soir. Au centre de la pièce suspendue à hauteur des yeux, une ampoule. Il semble que l'installation ouvre ou déballe le dispositif cinématographique en exposant ses éléments constitutifs. Dans une redéfinition radicale du médium, le « film » est issu de la rencontre de ces différents éléments et du temps qui passe. Après avoir abandonné l'écran et l'image, McCall se passe maintenant de celluloïd et de projecteur, pour mieux se concentrer sur deux composantes essentielles du cinéma : la lumière et le temps. Baker conclut en rappelant l'importance de la notion de « continuité » qui se traduit par le
devenir d'une œuvre d'art dans le monde.
Le titre choisi par Lisa Le Feuvre pour son essai, « The Continuous Present », réfère à une notion fondamentale dans la pensée de Gertrude Stein, qui lui avait été suggérée par le cinéma et qu'elle explorait dans son écriture. Grand admirateur de Stein, John Cage était particulièrement sensible à son projet de libérer le langage de la syntaxe. Les deux artistes portaient une grande attention à la répétition et, surtout, à la différence dans la répétition. Le Feuvre souligne leur importance pour McCall et aborde donc son travail en parlant de durée, mais sous la forme d'un présent continu qui entretient d'étroites affinités avec la notion de « continuité » chez Baker. L'auteure évoque à ce propos la présentation par Cage en 1963 des
Vexations d'Éric Satie qui consiste en une partition musicale répétée 840 fois et le film
Empire (1964) d'Andy Warhol, un plan fixe de huit heures. Puisque chaque exécution est différente, que chaque image est différente de la précédente, la répétition n'est donc pas répétitive.
Le Feuvre rend compte de cette forme de temporalité à l'œuvre dans différentes installations de McCall, particulièrement dans
Long Film for Ambient Light, qu'elle associe à d'autres propositions artistiques visant à exposer les conditions mêmes d'exposition : la célèbre exposition de Yves Klein,
Le Vide, présentée à la galerie Iris Clert à Paris en 1958, et
During the exhibition the gallery will be closed (1968), de Robert Barry. Dans sa discussion de la pratique de McCall, l'auteure se penche sur le rôle du spectateur qui est invité à s'investir dans l'œuvre pour lui donner sens.
Elle termine son essai en commentant le dialogue fécond entre
Line Describing a Cone et
Conical Intersect, le brillant hommage effectué par Gordon Matta-Clark à Paris en 1975 et
Light Conical Intersect (1996), la reprise de Pierre Huygue. Un bel exemple d'une œuvre en alimentant une autre en alimentant une autre...
Dans la première partie de son texte «
Line Describing a Cone and Related Films », Anthony McCall propose une série de notes et de réflexions sur ses projets majeurs qui éclairent ses préoccupations de l'époque. Dans la deuxième partie, il nous fait part du contexte historique dans lequel il a produit ses œuvres, dominé par l'intérêt pour le cinéma structuraliste et expérimental. À cet égard, il mentionne l'importance d'
Empire et de
Wavelength (1967) de Michael Snow, qu'il admirait pour leur « clarté conceptuelle ». Il évoque également, outre l'influence de Cage, sa relation avec Carolee Schneemann qui lui avait fait découvrir les Happenings, Fluxus et le Judson Dance Theater.
Dans un deuxième texte, « New Films Installations », McCall parle de son retour à la pratique artistique après une longue absence. Comme point de départ, il est retourné aux stratégies utilisées dans les années 1970 mais l'utilisation de l'ordinateur lui donne aujourd'hui de nouveaux moyens en facilitant les étapes de production. Le motif aussi a changé : alors que les premières œuvres consistaient en lignes circulaires ou en lignes droites, il s'intéresse aujourd'hui au mouvement de la vague. De plus, les avancées technologiques aidant, il travaille maintenant avec une machine (
hazer) capable de produire un brouillard très consistant qui permet une meilleure visibilité des rayons lumineux projetés.