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Viva Paci

Ce qui reste des images du futur

Des idées du futur

Julia Heyward, The Visit, 1993 (video)
Julia Heyward, The Visit, 1993 (video)
Le futuroscope : le parc européen de l'image : un lieu pour apprivoiser le futur Ars Electronica Center : museum of the future Art Futura 1990 : Realitat Virtual = Realidad Virtual = Virtual reality
« Les Images du Futur s’interrogent rarement sur ce futur qui nous attend et chantent en chœur les prouesses de la haute technologie ». C’est ainsi que s’exprimait un chroniqueur du quotidien montréalais La Presse, le 3 septembre 1988, proposant un compte rendu de sa visite à la troisième édition de l’exposition Images du Futur. Le spectacle de l’avenir et la présentation du futur ont nourri depuis toujours la création artistique (de la littérature au cinéma en passant par l’architecture), mais aussi le langage du marketing (« achetez ceci, achetez-le maintenant, car dans l’avenir plus personne ne pourra s’en passer... »). Et les visions du futur ont souvent ouvert la voie à des modélisations technologiques, des hypothèses d’avancement (mais un avancement tout technologique) de l’état du monde. Ce type de mise en spectacle de l’avenir représente une attraction majeure pour les événements forains des grandes Expositions (universelles, internationales, technologiques, etc.). Un cas à citer parmi tant d’autres est celui du pavillon Futurama commandité par la General Motors et dessiné par Norman Bel Geddes à la New York World’s Fair de 1939 (1).

De façon générale, au cours des années 1980 et 1990, le spectacle du futur connaît une recrudescence notable dans les manifestations et les espaces à vocation « grand public ». Plus particulièrement, c’est à partir des années 1980 que ce spectacle est mis en scène en montrant les outils du « technologue » : transistors et fibres optiques, réseaux et cellules photosensibles, câbles et ordinateurs personnels, entre réalisme, approximation techno-populaire et anachronisme (mettre en exposition, comme on le faisait déjà dans le passé, des artefacts technologiques du présent, en les présentant comme promesses de futur, voire comme purs échantillons visionnaires). Depuis la décennie 1980, la projection du futur propose de moins en moins les lieux communs de la science-fiction classique (hormis La Guerre des étoiles...) composés des horizons intersidéraux et des voyages dans le temps (génération Buck Rogers...) pour mettre l’accent sur les usages démocratiques et à portée de main des nouveautés qui représentent la véritable promesse du futur proche. Avant de dresser les contours de la manifestation « grand public » d’Images du Futur, je propose un survol de quelques autres événements qui, à la même époque, mobilisent d’autres constructions du futur et qui affichent également dans leur nom cette qualité visionnaire.

EPCOT (Experimental Prototype Community of Tomorrow), ouvert en 1980, tout comme le Futuroscope en France (projet de 1984, inauguré en 1987), est un parc d’amusement thématique qui aspire à transmettre, physiquement, le sens du futur aux visiteurs en enrichissant l’expérience des Luna-Park du XIXe siècle, par la mise en valeur de nouveautés technologiques de différents manèges. Le visiteur se voit accorder le privilège de tester les dernières trouvailles de la NASA et du ministère de la Défense. Il entre dans le futur, car on lui permet de voir, de toucher, de jouir de la fine pointe de la technologie. Et tout cela... le dimanche, disons, en shorts et sandales et un hot-dog à la main (2).

Le Museum of the Future de l’Ars Electronica Center de Linz en Autriche, quant à lui, a été fondé en 1996. La pratique courante de l’Ars Electronica Center et la nature des artefacts du Museum of the Future (surtout des machines) donnent à réfléchir sur les influences réciproques entre nouvelles technologies et pratiques artistiques ainsi que sur les développements concrets dans la sphère économique et dans notre vie de tous les jours. Déjà par son nom, cette institution, le Museum of the Future, révèle un mandat clair mais provocateur. Il s’agit d’un nouveau type de musée qui n’entend pas momifier l’histoire de la technologie. Le Museum of the Future est une sorte de prototype qui permet d’accéder aux technologies exposées. Ces dernières sont présentées comme celles qui feront partie de la vie quotidienne dans les générations à venir. Apôtre de Protagoras (« l’homme est la mesure de toutes choses »), le personnel du musée invite le visiteur à tester les machines. Le personnel et le visiteur représentent ainsi une composante essentielle du musée. En établissant un lien entre le passé (celui de l’objet) et le présent (celui de sa mise en exposition), toute collection de musée attribue une valeur patrimoniale à ce qui y est conservé. Or, par le fait même d’être muséifiés, institutionnalisés, conservés et exposés, les artefacts du Museum of the Future acquièrent une épaisseur historique, bien qu’ils en soient dépourvus. Comme ces artefacts naissent directement de projets de recherche appuyés par l’Ars Electronica Center, ce qui implique qu’ils n’ont transité ni par le circuit de l’art (collectionneurs, galeries, encans) ni par le circuit commercial (foires, production et usage industriel), c’est plutôt le lien entre présent et futur qui est en jeu dans ce musée sui generis. Le Museum of the Future expose et (dé)montre ce que chacun possédera, si les expérimentations sont menées à terme et surtout si nous apprenons à utiliser ces technologies d’ici-là.

Dans le cas, enfin, d’Art Futura, il s’agit d’une foire du numérique se déroulant à Barcelone depuis 1990 : hardware et software voués à la création d’images de synthèse. Cette foire est une vitrine, un festival de créations d’animation par ordinateur pour le cinéma et de démos de nouveaux logiciels. Le futur qui y est montré, qui y est vendu, témoigne de l’évolution rapide des pratiques numériques. Ce futur-ci se mesure sur une échelle courte à l’aune de résultats ponctuels et en fonction des « améliorations » par rapport à l’année qui précède.

Images du Futur ou la magie des sens 

Images du Futur, de son côté, propose au grand public un panorama extravagant sur l’usage des nouvelles technologies dans les pratiques artistiques – rappelons que la saga d’Images du Futur commence en plein cœur des années 1980 –, tout en cherchant à divulguer, toujours de façon spectaculaire, les nouvelles conquêtes de la technologie dans le domaine de la vie de tous les jours (chaque année, par exemple, une section spéciale était consacrée aux avancements « domestiques » de hautes technologies : domotique, usages divers de la réalité virtuelle, sciences médicales, etc.).

Les conceptions et les présentations du futur qui y sont profilées, passablement différentes les unes des autres, tissent à chaque fois des relations complexes entre passé, présent et futur (en généralisant, le passé de la tradition, le présent technologique et le futur de l’optimisation des technologies).

Ces relations temporelles – en particulier celle avec le passé – sont ponctuellement escamotées par les discours programmatiques des institutions qui les génèrent. Elles ne font en fait que prêcher l’idée du futur qu’elles construisent, sans reconnaître et encore moins souligner les possibles et nécessaires liens avec la tradition passée.

La tension entre diverses temporalités est particulièrement perceptible dans le cas d’Images du Futur. Liquidée à son tour dans le titre de l’événement et par les discours promotionnels, cette tension est fortement actualisée et valorisée par la nature des objets exposés (à visiter aussi « Installations-attractions et résidus cinématographiques »). À Images du Futur, le futur qui est mis en scène n’est pas techno-ludique (EPCOT et Futuroscope), ni didactique (Museum of the Future), ni commercial (Art Futura) et on ne veut pas non plus présenter un futur vraisemblable. Née au cœur d’une période caractérisée par l’explosion de la vidéo, période teintée d’une attente fébrile et d’un engouement démesuré pour les « nouvelles technologies » (...et nous ne sommes pas encore tout à fait sortis de ce paradigme, qui peut alterner de nos jours avec un catastrophisme tout aussi gênant), l’exposition Images du Futur reflète ce besoin de collecter des nouveautés et est motivée par une certaine curiosité populaire, ce qui en fait un véritable témoin de son présent technologique. Ne se réclamant pas ainsi d’une tradition existante, l’exposition entretient une sorte d’indétermination institutionnelle. Il s’agit d’un phénomène parfaitement symptomatique de son temps et qui partage avec d’autres manifestations de l’époque cette tendance à vouloir imaginer le futur. Mais Images du Futur demeure en réalité un phénomène assez particulier, construit sur des temporalités diverses et des confusions institutionnelles qui déterminent à leur tour un discours singulier sur les œuvres et un rapport nouveau avec le public, centré sur la participation du spectateur et la stimulation « multisensorielle » (à visiter aussi « Exposer »).

Images du Futur, en montrant côte à côte des œuvres d’art, des propositions d’ordre commercial et des présentations de nature scientifique, fait le pont entre différentes institutions et se donne pour but de valoriser ses objets, comme les curiosités d’une Wunderkammer où chaque élément est exposé en tant qu’œuvre d’un auteur, même s’il s’agit d’un prototype relativement commercialisable. À partir de l’intitulé de la manifestation (Images...), le sens qui semble être le plus sollicité est celui de la vue, comme si au cœur de sa conception même, il y avait le constat que seules des images peuvent nous parvenir de ce futur. Mais en même temps, Images du Futur est le lieu où images et artefacts peuvent non seulement être regardés avec étonnement et fascination mais aussi expérimentés. Souvent les composantes des œuvres et des dispositifs, ainsi que les effets obtenus, réactivent une mémoire ancienne d’autres institutions comme celle du cinéma par exemple (à visiter aussi « Installations-attractions » et « Résidus cinématographiques »).

Le visiteur-spectateur de l’exposition est continuellement appelé à interagir avec les machines qui l’entourent : et c’est sur cette dimension multisensorielle que vient s’articuler tout particulièrement la construction d’un discours sur le futur proposé par Images du Futur (à visiter aussi « Exposer »).

Viva Paci © 2005 FDL

(1) Pour un panorama illustré des expositions internationales les plus importantes, voir : Mattie, Erik, World’s Fairs, Princeton, Princeton Architectural Press, 1998. À propos du Futurama, voir l’ouvrage collectif : Remembering the future : the New York world’s fair from 1939 to 1964, New York, The Queens Museum; Rizzoli International, 1989.

(2) Pour une présentation plus ample du cas d’EPCOT, je réfère à mon article : « I have seen the Future : Projection sur la ville », Cahiers du GERSE, nº 6 (automne 2004), p. 131-144. Titre du numéro : « Un monde merveilleux… Dispositifs, hétérotopies et représentations chez Disney », Également disponible sur Internet : http://www.er.uqam.ca/nobel/gerse/assets/pdf_secure/gerse_06/08-paci.pdf