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Viva Paci

Ce qui reste des images du futur

Spectacle et contrôle

Robert Wilhelmson, Study of a Numerically Modeled Severe Storm, 1990 (video)
Robert Wilhelmson, Study of a Numerically Modeled Severe Storm, 1990 (video)
Bériou, Ex Memoriam, 1993 (video)
Bériou, Ex Memoriam, 1993 (video)
Pascal Roulin, Proxima, 1986 (video)
Pascal Roulin, Proxima, 1986 (video)
Paul Garrin, White Devil, 1992-1993
Paul Garrin, White Devil, 1992-1993
Les hypothèses sur la présence des technologies dans notre futur ont donné lieu, en gros, à deux types de scénarios : 1) les technologies de l’avenir nous aideront; 2) les technologies de l’avenir nous emprisonneront. Historiquement, le deuxième scénario a été une sorte de détérioration du premier énoncé : détérioration qui trace une ligne qui part du gentil « téléphonoscope » d’Albert Robida (1848-1926) et des autres merveilles technologiques décrites dans son ouvrage Le Vingtième siècle (1883) et qui débouche sur les méchants automates de I-Robot (Alex Proyas, 2004).

Dans un contexte d’exposition et de démonstration comme celui d’Images du Futur, le discours sur les nouvelles technologies du futur demeure toujours optimiste, sans glisser généralement dans la science-fiction d’épouvante, hormis quelques maladresses, ici et là, dans les descriptions des œuvres que l’on retrouve dans le catalogue (à visiter aussi « Anticipations »). Néanmoins, une certaine ambivalence semble se dessiner. Il s’agit plus d’un glissement continu entre une société où l’on met excessivement la technologie en spectacle (où un rayon laser peut fasciner pour sa beauté) et une société qui est de plus en plus en contrôle de toutes ses parties grâce à la technologie (et « en contrôle » signifie aussi, de toute évidence, que cette même société est contrôlée…). Les figures évoquées par le réseau, la surcharge d’informations, la justesse in fieri des simulations, sont à la fois un surplus de contrôle qu’on peut mobiliser par les technologies et un élément spectaculaire ou, du moins, exploité comme élément spectaculaire.

Ainsi, à Images du Futur, une partie de l’exposition est souvent consacrée à ces outils de contrôle : la domotique (1994 : des fours domestiques qui savent quand préparer le soufflé, des laveuses qui choisissent toutes seules le programme adéquat lors du lavage du pull en cachemire...); la science médicale visionnaire (1991 : scanographie, résonance magnétique, scintigraphie, radiographie, endoscopie, échographie, terminographie...); la micro-observation de la naissance de la vie (1993 : de véritables reality shows pour tout savoir sur nos ovules et leurs amis les spermatozoïdes…); la découverte de l’univers (1992 : des images satellites pour pouvoir contrôler le satellite qui contrôle la terre...). Nombreux sont ceux qui empruntent cette voie interprétative qui considère la technologie entre avancement et contrôle. Par exemple, près de nous, Jean Gagnon fait remarquer que « les nouvelles technologies numériques, comme toutes nos technologies de communications, balancent entre surveillance et contrôle d’une part et libération et expression libertaire d’autre part » (1).

Et puisque le milieu fournit, par cette mise en scène avant tout spectaculaire du futur, une réflexion sur le contrôle, nombreuses sont les œuvres qui offrent une argumentation développée en ce sens à Images du Futur. Une œuvre exposée en 1994 travaille explicitement sur ces limites floues entre contrôle et spectacle : l’installation vidéo de Paul Garrin, White Devil. Garrin réfléchit sur la « société de contrôle » et sur le pouvoir pervers de la surveillance. Dans le cadre de cette installation les spectateurs peuvent observer l’environnement interactif qu’il a conçu, en même temps que cet environnement les « observe » : des caméras vidéo reliées à un ordinateur en espionnent les mouvements. Les mouvements du spectateur conditionnent ceux de l’image vidéo d’un chien et de ses jappements féroces. Le spectateur passe dans un couloir délimité par un fossé dans lequel une série continue de moniteurs transmet l’image d’un pit-bull enragé qui suit, sans jamais s’en lasser, les mouvements du nouvel arrivé. Le spectateur est ainsi terrorisé et est tenu à l’écart de l’image vidéo qui, en arrière-plan, derrière le chien de garde, montre une voiture et une villa en flammes. C’est un usage bien spectaculaire et percutant de l’interactivité qui est fait ici, où à chaque pas correspond une contrainte de mouvement et d’action chez le visiteur (à visiter aussi « Exposer », « Installations-attractions » et « Résidus cinématographiques »).

Une autre figuration du contrôle est proposée par le court-métrage Ex Memoriam de Bériou, en concours à la Compétition internationale d’animation par ordinateur d’Images du Futur en 1993. Un univers cauchemardesque dans lequel des images de corps humains numérisées se tortillent jusqu’à devenir des mécanismes perturbants servant de décor accompagnant un discours en voix off (ou hors champ) sur la création de machines qui emmagasinent et contrôlent la mémoire.

Le spectacle de la simulation

Les systèmes de simulation constituent, quant à eux, une véritable méthode heuristique pour exercer le contrôle. Simuler (mettre en images) un phénomène veut dire pouvoir l’étudier et donc le contrôler : que ce soit une cellule cancéreuse, une tornade, un changement climatique, l’intégration d’un immeuble dans un environnement donné, le vol d’un avion, etc. Dans chacun de ces cas, la visualisation de la simulation peut être mise en spectacle, soit pour son côté de « diseuse de bonne aventure », soit par le caractère extraordinaire de la technologie mobilisée. Ce type de spectacularisation de la simulation ne concerne pas seulement Images du Futur : par exemple, le Climax, présenté à la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette à Paris, est une simulation scientifique des changements climatiques prévus qui attire plus les visiteurs du dimanche à la recherche de sensations fortes que les visiteurs intéressés par son aspect éducatif et scientifique. Je noterai au passage que les simulations de phénomènes naturels sont une série particulièrement exploitée. Nombreuses sont, par exemple, les simulations réalisées par le Visualization Services and Development Group, National Center for Supercomputing Applications (NCSA), Champaign-Urbana Illinois, présentées à la Compétition internationale d’animation par ordinateur d’Images du Futur de 1990. Dans Study of a Numerically Modeled Severe Storm, après un court moment de reality show en prises de vue réelles où deux scientifiques roulent dans leur auto vers un ouragan, une coupe franche introduit une deuxième scène, en images numériques cette fois qui modélisent, expliquent et étudient les comportements de la tornade. Il en va de même pour l’animation The Smog, Visualizing the Components, avec ses animations qui illustrent l’imaginaire médical, ou pour la peau et la circulation du sang comme The Process of Wound Healing d’Atelier Bister, présentée en 1991; ou encore pour les animations qui simulent des animaux disparus comme Lost Animals, série réalisée par HD/CG de New York, où l’on classe les animaux préhistoriques selon une typologie darwinienne, pour ensuite en déduire les mouvements, la morphologie, etc. Le modèle est inépuisable, il suffit que la recherche scientifique continue à produire des prévisions.

Viva Paci © 2005 FDL

(1) Jean Gagnon, « Art et science dans le tourbillon numérique : l'importance de la recherche », in Les défis du cybermonde, sous la direction de Hervé Fisher, Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 2003, p. 227, 231.