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Viva Paci

Ce qui reste des images du futur

Images sans soleil et avec volume : le 3D (2ème partie)

Centro Espanol de la Comunicacion e Imagen, Demostracion GIPO, 1986 (video)
Centro Espanol de la Comunicacion e Imagen, Demostracion GIPO, 1986 (video)
Melvin Prueitt, Crystal Dove, 1985 (video)
Melvin Prueitt, Crystal Dove, 1985 (video)
Daniel Borenstein, Paul Coudsi, Stylo, 1988 (video)
Daniel Borenstein, Paul Coudsi, Stylo, 1988 (video)
Laura Di Biagio, Race Timed Out, 1990 (video)
Laura Di Biagio, Race Timed Out, 1990 (video)
Doug Aberle, Fluffy, 1996 (video)
Yoshiko Nakagawa, Maze, 1985 (video)
Michel Bret, Ploum Ploum Tralala, 1993 (video)
Steve DiPaola, Music Don't Stop, 1986 (video)
Jean François Emery, Paillafrisson, 1989 (video)
Robert Lurye, Dirty Power, 1989 (video)
Jerzy Kular, Isabelle Foucher, Jumpin' Jacques Splash,  1988 (video)
Michelle Robinson, When I Was six, 1993 (video)
Les « genres » du 3D

Je considère que les images de synthèse sont avant tout un outil de création et non un mode d’expression. Ainsi, elles peuvent se prêter à différents usages, avec des résultats très éloignés les uns des autres. Mais il demeure néanmoins que, surtout dans ses premiers temps, le 3D a déployé certaines figures de façon récurrente. Je voudrais d’ailleurs en esquisser ici quelques traits.

Doug Aberle, Fluffy, 1996 (video) Yoshiko Nakagawa, Maze, 1985 (video) Michel Bret, Ploum Ploum Tralala, 1993 (video) Steve DiPaola, Music Don't Stop, 1986 (video) Jean François Emery, Paillafrisson, 1989 (video) Robert Lurye, Dirty Power, 1989 (video) Jerzy Kular, Isabelle Foucher, Jumpin' Jacques Splash,  1988 (video) Michelle Robinson, When I Was six, 1993 (video)

Demo(nstration) des structures

Les images de synthèse n’ont pas de barrières, elles peuvent montrer la surface des objets mais aussi pénétrer la matière, elles sont aussi « la matière », ces images peuvent alors mettre à nu les structures imaginaires qui soutiennent les objets. Ce type d’imaginaire a été beaucoup exploité (Demostración GIPO en propose un exemple) en produisant ces objets dont les structures sont des tubes néon (une esthétique à la Tron - Steven Lisberger, 1982). Ces structures pivotent sous notre regard de manière à nous laisser découvrir la forme à partir de multiples points de vue, comme si un œil de caméra bougeait librement à l’intérieur de l’objet, dans le but de valoriser la modélisation. Parfois on met en valeur le fait qu’on puisse créer dans un espace donné des luminosités et des densités d’air. Entre 1985 et 1986, ce type d’imaginaire des tubes néon, qui retrace les étapes de la conception de la troisième dimension de l’image, est à ce point dominant qu’il est le seul que j’ai pu retenir dans ma sélection.

Demo(nstration) des textures

Le même type de fascination est exercé par les textures des matériaux et par la possibilité que ces images ont d’en simuler les caractéristiques. À la différence des structures mises à nu, ce type d’imaginaire ne disparaît pas après les toutes premières années et devient même un de plus grands défis de la création d’images de synthèse. Dans The Adventure of Chromie, les propriétés réfléchissantes du matériel sont valorisées; dans Crystal Dove, ce sont les transparences cristallines qui sont à l’honneur; Faux pas, lui, joue en partie sur les textures du marbre et ses réactions à la luminosité.

Demo(nstration) des mouvements

Le fait de pouvoir enregistrer le mouvement avait été, bien sûr, l’un des défis de la photographie et du cinématographe au tournant du XXe siècle. Les images de synthèse héritent de cet engouement, et l’intérêt de nombreuses animations repose justement sur différentes démonstrations des qualités du mouvement des objets modélisés.

La fluidité de mouvements est une des principales qualités des bonnes animations. Évidemment, la complexité des mouvements que les modélisations peuvent accomplir dépendra aussi de l’époque à laquelle l’animation (et les nombreux logiciels employés) a été réalisée (des exemples avec Stylo ou Faux Pas).

La justesse physiologique des mouvements est au cœur des images qui représentent un être vivant qui se déplace : on verra par exemple Race Timed Out, Crystal Dove  (1) et Fluffy (le chien est certes composé de formes géométriques non naturalistes, mais ses mouvements parviennent à traduire avec exactitude les comportements du chien).

La continuité du rythme entre le mouvement des images et les mouvements de la bande-son est aussi une constante dans les créations 3D. Par exemple, dans Maze, l’univers 3D est, en vérité, bien peu tridimensionnel : les objets modélisés sont conçus plutôt en aplat, l’intérêt ne concerne donc pas la possibilité de tourner autour de l’objet. C’est plutôt sur la capacité qu’ont ces objets d’évoluer librement dans un espace que l’on parcourt en suivant le rythme de la bande-son. Dans Ploum, Ploum, Tralala, dans un univers relativement abstrait, des formes reconnaissables en constante métamorphose suivent un mouvement fortement rythmé, synchrone avec celui de la bande-son.

Des visages aux masques et retour

Une des grandes difficultés des images de synthèse est de créer des textures à l’apparence naturelle et, encore plus, humaine, des physionomies complexes et dont les mouvements sont assez souples pour pouvoir rendre des expressions connotées émotivement. Le film d’animation 3D Final Fantasy (Hironobu Sakaguchi, Moto Sakakibara, 2001), inspiré par le jeu vidéo du même nom, avait été unanimement encensé pour sa réussite dans ce sens. Mais pendant plus de vingt ans, les images 3D n’ont cessé de tenter de combler ce manque. Par exemple, Tony de Peltrie a été salué à sa sortie comme l’animation qui parvenait le mieux à répondre au défi. Dans un article au titre révélateur, « Tony de Peltrie: symbol of a new era of computer animation », on pouvait lire : « The computer graphic is now entering the second stage of its development as a tool of visual expression [Tony de Peltrie : symbole d'une nouvelle ère en animation par ordinateur. L'infographie entre maintenant dans la deuxième étape de son développement comme outil d'expression visuelle] » (2).

Représenter un visage en mouvement a toujours été un des grands défis de l’image d’animation numérique. Le cas de Music don’t stop présente une modélisation d’un visage avec un essai assez réussi de lipsync. Avec Music don’t stop, nous assistions, presque, à la conquête de la ressemblance entre des lignes de pixels et des traits humains. Par la mise à nu des lignes de construction du dessin de cette tête en gros plan, on a l’impression qu’il s’agit d’une ébauche, d’une tentative. Encore à propos de cette même obsession de la création d’un visage numérique, laquelle se poursuit encore de nos jours, pensons à The Mask (Chuck Russel, 1994) et ses fils (The Son of the Mask), Lawrence Guterman, 2005). Ce sont les jeux de morphing à partir de l’image d’un vrai visage, suivant d’étranges transformations, qui peuvent être considérés comme les héritiers de l’obsession de synthétiser un visage. Comme dans le vidéoclip She’s Mad  (3) de David Byrne présenté à Image du Futur en 1992.

Dessins animés – objets animés

Si l’animation d’un visage comporte des difficultés pas encore tout à fait dépassées, le fait de rendre bien vivants des objets a toujours été une spécialité de l’animation (même de l’animation classique, cello et cie.). Ce mot « animation » ne vient pas de nulle part. « Les objets animés » constituent, en effet, une véritable sous-catégorie des dessins animés 3D. Comme pour le cinéma où les premiers genres étaient nés de certaines contraintes de production, ce genre de l’animation 3D est né de certaines contraintes. Aux premières années du cinéma, on pouvait facilement tourner des films avec une caméra placée sur un véhicule en mouvement (train, bateau, etc.) ou bien tourner en fixant la caméra au milieu d’un studio : les films réalisés selon ces procédés étaient des travelogues ou des tableaux vivants. De la même manière, les acquis technologiques ont permis au 3D de bien modéliser des objets inanimés, et par l’animation de quelques traits sporadiques, on pouvait provoquer des effets anthropomorphiques.

On connaît bien les courts-métrages 3D particulièrement réussis de John Lasseter, réalisés à la Pixar, tels que Tin Toy (1988), Knickknack (1989) et la petite série des Luxo Jr. (1986, suivi de Surprise et Light and Heavy, 1992) et, bien entendu, ce genre est encore plus vaste. Pour rendre « humains » les mouvements des objets modélisés, on s’inspire souvent des mouvements des animaux : par exemple, dans le court-métrage Locomotion (PDI, 1989) un petit train pour ne pas arriver en retard décide de sauter la partie de pont qui s’est écroulée, malgré la peur qu’il ressent à la vue de la structure restante du pont suspendue au-dessus du ravin... Ici, l’anthropomorphisation des mouvements transforme le train en animal effarouché et reprend la façon de bouger des animaux dans un dessin animé (dont les mouvements sont, à leur tour, une bonne amplification des gestes des animaux).

On peut trouver, ci-contre, une sélection d’extraits d’animations qui exploitent les possibilités de narration que ce genre d’animation permet : Jumping Jacques Splash, Stylo, Faux pas, Paillafrisson, Dirty Power, When I Was six.

Dessins animés – formes animées

Un autre genre spécifique de l’animation 3D est celui que je qualifierais de « kaléidoscope ».

Ici, les figures sont loin du réalisme; elles recherchent plutôt la performance d’un mouvement fluide et la variété des mélanges de textures et de densités des matières. William Latham, par exemple, un chercheur affilié à IBM, opère à la frontière de l’expérimentation de modèles mathématiques et de la création artistique. Ses animations, The Conquest of Form (1988), The Evolution of Form (1989), visualisent dans l’espace 3D des créatures virtuelles, minérales par leurs textures, organiques par leurs formes. Ces animations éclairent son propos lorsqu’il dit : « l’espace informatique est un univers libre de toutes contraintes physiques, tels la gravité, la résistance des matériaux et le temps. Les sculptures que je crée par ordinateur ne pourraient pas exister dans le monde réel, car plusieurs de mes sculptures flottent dans l’espace et sont tellement compliquées qu’elles seraient impossibles à construire » (4). Un autre maître de l’animation de formes abstraites organiques est Yoichiro Kawaguchi (Float, Flora, Eggy). Ces images évoquent des corps vivants, des surfaces organiques, une matière floue. Kawaguchi, en 1977 avec Crown, avait commencé à créer de somptueuses formes abstraites, aux couleurs et textures continuellement en mouvement et en métamorphose. Si ses créations ont subi une évolution, c’est dans le sens de la complexité des formes et de la quantité d’objets qui bougent de façon indépendante dans le même environnement (voir Eggy). Dans Flora, l’effet kaléidoscopique est créé surtout par les formes aqueuses. D’autres effets spéciaux aqueux, dont ceux réalisés par la ILM, qui créera entre autres le monstre de The Abyss (James Cameron, 1989, présent aussi à la Compétition internationale d’animation par ordinateur d’Images du Futur) sont également de la même année. Dans les animations de Kawaguchi, les formes s’opposent aux perspectives albertiennes et à une netteté des contours auxquelles les images de synthèse font parfois appel.

Viva Paci © 2005 FDL

(1) Il est impossible de ne pas penser ici aux études d’Edward Muybridge devant ces animations. Pour voir quelques exemples des planches photographiques dont nos animations semblent s’être inspirées, on peut visiter le site du UCR/California Museum of Photography qui conserve une collection des planches publiées en 1887 dans Animal Locomotion. Cf. en particulier « Plate 626 Annie G galloping » et « Plate 758 Cockatoo flying : http://www.cmp.ucr.edu/collections/permanent/object_genres/photographers/muybridge/

(2) In Kawahara, Toshifumi. « Tony de Peltrie: symbol of a new era of computer animation », IDEA, Vol. 34, no. 198 (Sept. 1986), p. 50-65.

(3) Ce vidéoclip, dont les effets spéciaux ont été réalisés par la PDI, peut être visionné sur le site de David Byrne. La chanson est extraite de l’album Uh-Oh. Voir : http://www.davidbyrne.com/sound.php

(4) Images du futur 91, Montréal, Cité des Arts et des Nouvelles Technologies de Montréal, 1991, 62 p.