Le nouveau projet de Lozano-Hemmer poursuit son intérêt pour une forme d'art « relationnel » avec de nouveaux moyens. Délaissant les projections à grand déploiement d'images et de lumière dans l'espace public pour l'intimité d'une galerie, l'artiste cherche à donner corps de façon inédite au phénomène du regard omniprésent de la caméra de surveillance. Et il a choisi la ceinture comme objet susceptible d'explorer et de véhiculer les notions de présence, de comportement de groupe et d'intériorité sans négliger, bien sûr, le lien symbolique entre la ceinture et l'autorité paternelle.
D'un point de vue conceptuel autant qu'esthétique,
Standards and Double Standards reste fidèle à l'économie des installations précédentes. Malgré la complexité technologique qui l'active, le dispositif est simple dans sa présentation visuelle : cinquante ceintures attachées sont suspendues à partir du plafond d'une salle d'exposition. Identiques, elles se présentent plus ou moins à hauteur de la taille. Selon l'artiste, elles représentent une « foule absente ». Et non seulement le visiteur peut-il circuler autour de ce rassemblement, mais il peut également, en empruntant un corridor, pénétrer dans cette masse.
En l'absence de quiconque dans la galerie, les ceintures pivotent lentement sur elles-mêmes, chacune d'elles étant reliée à un moteur. Les mouvements sont déterminés par une série d'équations connues sous le nom d'« automate cellulaire ».
(1) Ce qu'il importe de savoir pour comprendre le projet de Lozano-Hemmer, c'est que ces systèmes s'influencent réciproquement par un processus de contagion. Par exemple, une ceinture peut être programmée pour tourner automatiquement dans le sens des aiguilles d'une montre si deux ceintures voisines tournent en sens contraire. Si une seule personne se trouve dans la galerie (quatre caméras placées aux quatre coins de la salle détectent sa présence), les ceintures à proximité vont se tourner vers elle, la boucle lui faisant face. Quelques secondes plus tard, les ceintures un peu plus éloignées commencent à se tourner vers elle. Et ainsi de suite… le mouvement se propage comme une onde, entraînant une réaction en chaîne et créant un champ de force. Lorsque plusieurs personnes se trouvent dans la galerie, différents champs de force se côtoient, semblables à des perturbations atmosphériques, provoquant ainsi des comportements imprévisibles parmi les ceintures.
Ce dispositif permet à l'artiste de créer des dynamiques complexes en renversant un système de contrôle (la surveillance) en un système hors contrôle (l'absence de comportements préprogrammés) - soit en passant d'une à plusieurs personnes dans la galerie.
Standards and Double Standards se présente donc comme une réflexion sur la surveillance et ses répercussions sur les dynamiques de groupe. Comme dans la plupart de ses installations, un écran accroché à un mur de la galerie et relié à un ordinateur affiche les données générées par le dispositif et présente différents points de vue des caméras dans le but d'exposer - et ainsi démystifier - la technologie de la surveillance. Cette nouvelle œuvre a été présentée en première mondiale en juin 2004 à la foire de Bâle, en Suisse, et lors de la 5ième édition de la biennale de Shanghai, de septembre à novembre 2004.